vendredi 10 mars 2017

Y a-t-il une différence entre un OBNL et un OSBL Un torchon est-il une serviette?



Y a-t-il une différence entre un OBNL et un OSBL

Un torchon est-il une serviette?
Josée Harnois, TROVEP Montérégie et
Vincent Greason, TROVEP Outaouais[1]
Février 2016

Dans le milieu communautaire, on utilise sans distinction les termes « organisme à but non lucratif » (OBNL) et « organisme sans but lucratif » (OSBL).  Est-ce vrai que les deux veulent dire la même chose?  Un torchon est-il une serviette?

La question se pose dans un contexte de transition et de transformation où le pouvoir public cherche à refiler ses responsabilités, notamment dans le domaine du social, vers de nouveaux partenaires privés et philanthropiques.  Ce contexte a donné naissance à de nouvelles formes d’organismes privés, dont les entreprises d’économie sociale. Le contexte change.  La loi ne suit pas les changements qui la dépassent.  Un flou s’installe.  De nouvelles questions se posent…


 
Tout d’abord
Le gouvernement fédéral reconnait les deux concepts, OBNL[2] et OSBL[3].  Dans les pages WEB et sur les formulaires appropriés, l’Agence du revenu du Canada (ARC) fait référence principalement aux organismes sans but lucratif (http://www.cra-arc.gc.ca/formspubs/clntgrp/thrs/nn_prf-fra.html ).  Pourtant,  la loi fédérale de l’Impôt sur le revenu fait référence aux « organismes à but non lucratif » qu’il désigne comme des organismes reposant sur le bénévolat et ne recherchant pas à faire des profits.[4]   Selon le site de l’ARC, un OSBL, comme les œuvres de bienfaisance, ne paie pas d’impôts.

Comme l’indique son nom, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, adoptée en 2009 et administrée par Industrie Canada, s’applique aux organismes à but non-lucratif (OBNL) (http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-7.75/page-1.html ). Juridiquement, seuls les organismes québécois ayant une charte fédérale (comme la Ligue des droits et libertés et l’Institut de coopération en éducation des adultes-ICEA) peuvent se réclamer « OBNL ». [5]

Ces distinctions sont-elles importantes?  Si vous ne croyez que non, arrêtez de lire ici…

Un peu d’histoire
Jusqu’en 2009, tous les organismes sans but lucratif (OSBL), tant au Canada qu’au Québec, ont été incorporés selon une loi des compagnies, la 3e partie de la loi québécoise pour les organismes incorporés au Québec; la 2e partie de la loi canadienne pour les incorporations au fédéral. Le statut juridique d’un organisme incorporé selon la 3e partie de la loi des compagnies du Québec est « une association n’ayant pas de capital-actions ».  Par ailleurs, la Loi québécoise des impôts précise  que les OSBL ne paient pas d’impôts.

La loi des compagnies du Québec (3e partie) précise qu’une association n’ayant pas de capital-actions doit appartenir à une catégorie « d’œuvre » poursuivant un des douze (12) objets permis et énumérés dans l’article 218 de la loi.[6]  Un (1) objet, n’étant manifestement pas permis,  est même défendu : un organisme sans but lucratif n’a pas le droit de poursuivre un objet économique. 

Cela s’explique historiquement.  Dans les années 1920, au moment de l’adoption de la loi des compagnies[7], on comprenait que tout commerce (compagnie) « à but économique » poursuivait la recherche de profit.  Une compagnie était en affaires pour faire de l’argent; il était « à but lucratif ».  La désignation « OSBL » voulait distinguer celui-ci d’une compagnie à but lucratif.  On a voulu ainsi distinguer les organismes à but économique de ceux sans but économique.[8]

Avec le temps, la situation se complique.  Des formes d’entreprises « hybrides » émergent, qui mélangent les activités marchandes aux visées sociales.  Parmi les « hybrides » : les coopératives et les organismes d’économie sociale. 

Les coopératives naissent au Québec au début du 20e siècle, moment où Alfonse Desjardins se trouve à l’origine d’un mouvement de prise en charge par la collectivité francophone d’une partie de sa vie économique.  Le mouvement coopératif s’étend aux secteurs de l’agriculture et de la pêche.  Un mouvement parallèle s’observe ailleurs au Canada.  Le succès du mouvement coopératif oblige les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral d’adopter des lois qui tiennent compte des spécificités de cette nouvelle forme d’entreprises. [9]   Sont nées les lois sur les coopératives.

L’économie sociale pose un autre problème.  En réalisant des activités économiques (marchandes), un organisme d’économie sociale poursuit un objet économique. À première vue, un tel objet –nous l’avons noté-  est exclu des finalités d’un OSBL, délimités dans l’article 218 de la loi des compagnies.  Pourtant, ce type d’organisme est souvent incorporé selon la 3e partie de cette loi.  Que se passe-t-il? 

L’intégral de l’article 218 de la loi des compagnies du Québec se lit comme suit :
 « Le registraire des entreprises peut […] accorder une charte à tout nombre de personnes, n'étant pas moindre que trois, qui demandent leur constitution en personne morale sans intention de faire un gain pécuniaire, dans un but national, patriotique, religieux, philanthropique, charitable, scientifique, artistique, social, professionnel, athlétique ou sportif ou autre du même genre. » (Ce nous qui avons mis le gras)

Pour résoudre la quadrature du cercle, le Chantier de l’économie sociale (à l’instar d’intérêts semblables ailleurs au Canada) propose une interprétation large de l’expression « ou autre du même genre » : Selon cette interprétation, une entreprise pourrait poursuivre des activités économiques mais « sans intention de faire un gain pécuniaire ».  Pour décrire ce type d’entreprise, l’appellation retenue par le Chantier –et par le gouvernement fédéral - est « organisme à but non-lucratif » (OBNL). 

Dans son intervention au colloque de la Ligue des droits et libertés, Georges LeBel a fait remarquer qu’en droit, si on change une expression, c’est pour signifier qu’elle couvre une réalité autre que l’expression qu’elle remplace. Dans ce sens, il a expliqué que si l’on remplace « SANS but lucratif » (OSBL), par « À but non lucratif » (OBNL), on suggère, sans le dire, que l’expression, qui n’est plus la même, couvre une autre réalité.  Une «autre du même genre » deviendrait un objet « économique mais sans intention d’être lucratif ». [10]  Cette interprétation serait au cœur de la loi fédérale propre aux OBNL.

Un impact majeur
L’impact de ce virage est majeur. Depuis plus de cent ans, nous avons compris qu’un organisme sans but lucratif est dépourvu de tout esprit de lucre, qu’un OSBL n’a pas pour but de faire de l’argent ou des profits.  Bien entendu, cela n’a jamais signifié qu’on ne puisse mener des activités accessoires qui permettent de ramasser des sous pour remplir le but non lucratif, pourvu que l’activité marchande ne soit pas le but de la corporation. Les St-Vincent-de-Paul, l’Armée du Salut et d’autres exemples de la vieille industrie marchande de la pauvreté en témoignent.

Cependant, pour les organismes incorporés au Québec,  un problème demeure: l’interprétation large de l’article 218 ne correspond pas à la loi québécoise actuelle.  Poursuivre un but économique, même s’il n’est pas lucratif, est exclu par le texte même de la loi. De plus, la loi sur les impôts défend aux organismes sans but lucratif, qui veulent être exonérés des impôts, de poursuivre un objet économique.[11]  Vraisemblablement,  de tels organismes existent, bénéficiant soit du flou au sein de l’ARC, de la tolérance au Registre des entreprises ou de la protection politique en attendant l’adoption d’un nouveau cadre juridique pour les OSBL/OBNL.[12]

Le gouvernement fédéral s’est doté d’un tel cadre juridique en 2009 avec l’adoption d’une loi spécifique aux OBNL.  Le Québec n’y a pas encore réussi, malgré plusieurs tentatives. En effet, à cinq reprises depuis 1978, le Québec a tenté de retirer les OSBL de la loi sur les compagnies.[13] Ces efforts ont été sans succès devant la résistance des OSBL québécois.  Cependant, plusieurs indices laissent présager une nouvelle tentative de la part du gouvernement Couillard. 

Parmi les indices s’avère l’adoption de la loi sur l’économie sociale (2013), muni d’un plan d’action étoffé.  Au moment où le gouvernement du Québec songe sérieusement à se lancer dans la finance sociale, cette loi illustre l’intérêt grandissant du gouvernement libéral quant aux possibilités représentées par le secteur.  D’ailleurs, la  loi de 2013 donne même une priorité d’accès aux contrats de Zone de Texte: Le  Bel Message INC (2019)
Une entreprise de communication

Le Bel Message (LBM) est une corporation qui vend de publicité ; elle fait réaliser ses graphismes par un OBNL qui les lui facture très peu cher.  En fait, LBM a créé cet OBNL pour aider les graphistes avec une déficience auditive

L’OBNL assume les coûts et LBM empoche les économies et les profits. Si l’OBNL crée par LBM est enregistré comme organisme de bienfaisance, l’investissement de LBM pour le constituer sera déductible d’impôts comme don de charité et les publicités de LBM comme dépense de production. 

Si LBM paye de l’impôt après cela, c’est qu’il a fait vraiment beaucoup de profits.  Ici l’OBNL est vraiment SBL ; mais remplacez les personnes sourdes par des employés et là, vous  avez un OBNL qui poursuit des objets économiques SBL.  

L’inverse est encore plus facile, l’OBNL vend le graphisme très cher à la compagnie par actions, qui essuie des pertes et donc paye mois d’impôts, et l’OBNL finance ainsi l’achat de son immeuble qui, à la dissolution, sera revendue à la compagnie par actions à sa valeur comptable dépréciée fiscalement.
l’État aux entreprises d’économie sociale.[14]  Une telle ouverture forcera le gouvernement provincial de régler un autre problème, maintes fois soulevé par le Chantier, de la sous-capitalisation de ses membres.[15]  C’est bien beau d’avoir accès aux contrats étatiques, toujours faut-il que les entreprises puissent être concurrentielles!

Le flou entretenu par la situation juridique actuelle ne peut plus durer.  Dans un contexte où la finance sociale prend son envol et où le pouvoir public se tourne systématiquement vers le marché pour le remplacer, le flou actuel permettra à certaines (mais pas toutes) entreprises sous-traitantes de l’État de continuer à jouir de l’exemption d’impôts tout en poursuivant des activités économiques et même faisant des profits, puisque les profits et leur utilisation ne seraient par leur but ou leur objet principal, mais accessoire.  Ne serait-il pas une simple question de temps avant que les entreprises à but lucratif, soumissionnaires aux même appels d’offres que les OSBL, commencent à crier : « Concurrence déloyale! »

De même, si toute entreprise, ou tout entrepreneur social,  peut poursuivre des objets économiques en proclamant que ce n’est pas là son objet principal, mais bien une activité accessoire, on ouvre la porte à n’importe qui voudra construire une entreprise profitable hors impôts.   L’encadré,  fourni par notre avocat préféré, illustre le type de dérapage qui devient possible.

Les torchons et les serviettes
L’enjeu fondamental d’un éventuel nouvel encadrement juridique des OSBL s’avère le même que celui soulevé par la différence entre un OBNL et un OSBL : comment protéger le caractère volontaire et surtout « hors du marché » des groupes de citoyens, populaires ou communautaires?   

Un organisme d’action communautaire autonome n’est pas une entreprise d’économie sociale.  Il poursuit une mission de transformation sociale.  Son objet n’est pas économique.  Certes, ils génèrent des retombées économiques, Ils créent des emplois, ils paient des loyers.  Cependant, leur terrain d’intervention n’est pas le marché et leur objet n’est jamais « économique » (marchand).[16]  Comme mouvement, il faut résister avec force et conviction toute tentative de dénaturer la mission des organismes qui le composent.

Garder les organismes d’ACA « hors le marché » implique également de protéger la nature publique de leur financement.  Autant les gouvernements néolibéraux remettent en question le transfert des allocations publiques vers les individus (Les pauvres! Les malades!  Les toxicomanes!), autant ils cherchent à se départir des allocations (subventions) versées aux organismes qui soutiennent ces individus.[17]  Il va sans le dire qu’un régime de finance sociale s’appuie sur une toute autre logique que l’octroi d’un soutien public à la mission des organismes communautaires.

Si le flou actuel permet à certains « OSBL » de pouvoir poursuivre, avec impunité, un objet économique en se dotant d’activités marchandes, à quand le moment où le pouvoir néolibéral décrètera que tous les OSBL devront le faire.  A partir du moment où la loi permettra clairement aux OBNL de réaliser des activités marchandes (même si l’objet n’est pas lucre!), celles-ci deviendront l’avenir  du financement des OSBL.  Une situation qui plairait, sans doute, aux gouvernements visant à réduire leurs engagements dans le domaine du social!

Sommes-nous dans le champ?  Considérons ceci.  Dans un des projets d’encadrement juridique des OBNL, proposé par le gouvernement du Québec et rejeté par le milieu, tout OBNL aurait eu un objet économique.  Par défaut, on aurait considéré tout OBNL comme une entreprise d’économie sociale.  Seuls les organismes, ayant fait une démarche proactive et au préalable pour se désinscrire de cette catégorisation, seraient restés sans objet économique.  Une telle loi aurait complètement dénaturé le sens de l’action communautaire québécoise. 

Un torchon n’est pas une serviette.  Un organisme d’action communautaire autonome n’est pas, et ne sera jamais, une entreprise  d’économie sociale!


[1] La question a été lancée par Georges Lebel lors du colloque sur le projet de loi 56 (lobbyisme).  Organisé par la Ligue des droits et libertés/SAC-UQAM, le colloque a eu lieu le 27/11/15.   Par la suite,  Josée Harnois (TROVEP Montérégie) et Vincent Greason (TROVEPO Outaouais, CE LDL) ont repris le flambeau.  Ils remercient Georges de les avoir rencontré et d’avoir enrichi ce texte de ses commentaires et critiques.  Vincent et Josée demeurent responsables des erreurs possibles.
[2] En anglais, Non-Profit. 
[3] En anglais, Not-For-Profit.
[4] Tous les formulaires pertinents de l’ARC s’adressent aux OSBL.  La loi fédérale de l’Impôt sur le revenu ( art. 149 (1)(l) fait référence aux « organismes à but non lucratif » dont il définit le statut fiscal. :   « […] une association qui est constitué[e] et administré uniquement pour s’assurer du bien-être social, des améliorations locales, s’occuper des loisirs ou fournir des divertissements, ou exercer toute autre activité non lucrative, et dont aucun revenu n’était payable à un propriétaire, un membre ou un actionnaire. Sur le site du Revenu Québec, on ne retrouve que des références aux OSBL.
[5] Nonobstant ce que disent le projet de loi 56 (sur le lobbyisme) et le Chantier sur l’économie sociale.  Sur ce dernier, nous y reviendrons.
[6] Les objets énumérés à l’article 218 sont : « national, patriotique, religieux, philanthropique, charitable, scientifique, artistique, social, professionnel, athlétique ou sportif ou autre du même genre » L’objet poursuivi par l’organisme doit se retrouver dans la charte de l’organisme.
[7] Depuis 1920 (refonte 1925) en ce qui a trait au Canada
[8] Dans ce texte, nous n’avons pas distingué entre les concepts « but » et « objet », lesquels nous semblent interchangeables.
[9] Les spécificités sont notamment la nature collective du propriétaire et une capitalisation par les parts sociales et par la constitution obligatoire des réserves
[10] Une désignation plus juste aurait été un « organisme à but économique non-lucratif (OBENL) »
[11] Georges LeBel fait remarquer que le texte de la loi fédérale sur les impôts  (149(1)(l) est encore plus explicite que celle des compagnies puisqu’il parle de « TOUTE AUTRE activité non lucrative » excluant donc toute activité lucrative des buts de l’organisation. 
[12] Nous choisissons nos mots avec soin.  Le secteur de l’économie sociale a été légitimé par les élites politiques, entrepreneuriales et syndicales lors du Sommet socio-économique québécois de 1996.  Le Chantier en a été une retombée concrète.  Par la suite, l’appui politique et financier du Premier ministre Paul Martin a confirmé l’intérêt des élites canadiennes à la formule.  De toute évidence, cette formule facilite la déresponsabilisation du pouvoir politique envers le social. 
[13]  Payette (1978), Landry(1996),  Jérôme-Forget, (2008)  Registraire des entreprises (2004),  Maltais (2013).
[14] Loi sur l’économie sociale ;  2013  (RLRQ c E-1.1.1). art. 2 et art. 6.
[15] Voir Investissement Québec,  « La capitalisation des entreprises de l’économie sociale ».  Nonobstant le constat inscrit à la  note 9, Investissement Québec ouvre la porte à une « lucrativité limitée » pour justifier le maintien de l’exemption fiscale des entreprises d’économie sociale. http://www.investquebec.com/documents/qc/publications/BrochureCapitalisation_fr.pdf
[16] Bien que la situation actuelle de sous-financement force un nombre inquiétant d’organismes à tarifier pour joindre les deux bouts.  La tarification est une forme de marchandisation.
[17] Nous déplorons que le gouvernement canadien ait une longueur d’avance sur le gouvernement québécois à cet égard.

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