mardi 16 février 2010

Conte (bis)

Un ami a lu le conte que j'ai mis en ligne le 15 janvier. Ayant bien compris le sens, il m'a envoyé l'ajout suivant....

« Dans ce monde à l'envers, la défense des droits est devenue l'affaire de quelques vedettes régionales dont on admire bien sûr l'audace et le franc parler. Les élu-e-s instrumentalisent ces "héros des moins nantis" en les invitant à manifester devant leurs propres bureaux pour "les aider" à transmettre le message au sommet de la hiérarchie politique. Dans ce monde à l'envers, les revendications ne dérangent plus et les hauts fonctionnaires s’accommodent de la présence des militants devenus directeurs généraux. Dans ce monde à l’envers, ceux et celles qui pensent à l’endroit jouent la chaise vide laissant ainsi toute la place aux partenaires accommodants. En bout de ligne, le Québec progresse sans autre opposition qu’une poussée occasionnelle de pancartes accompagnées de hot dog et de maquillage pour enfants.»

mardi 2 février 2010

Réflexions initiales sur l'état du communautaire québécois

Début d’une réflexion sur l’état actuel

du mouvement communautaire québécois[1]

janvier 2010

Je crois que l’’histoire du «tiers secteur» québécois est unique en Amérique du nord. Certes, la tradition juridique du code civil et l’influence de pratiques associatives européennes ont contribué à cette spécificité mais peut-être le facteur le plus influent a été celui de la conscience de « l’oppression nationale » qui a profondément marqué les origines du mouvement social québécois. Cette conscience ouvre la porte aux pratiques politisantes et libératrices en provenance (particulièrement) d’Amérique latine. La préoccupation des droits humains vient directement de ce courant libérateur et politisé. Pourtant, au fil du temps, le communautaire a évolué, la conjoncture politique également.

Les origines du «mouvement communautaire» contemporain se situent dans la foulée de la «Révolution tranquille», cette période de modernisation sociale et politique des années 1960 et 1970. Les premiers groupes de citoyens sont nés en résistance aux projets d’urbanisation des centres-villes des grands centres québécois (Montréal, Québec, Trois-Rivières, Hull). De par leurs méthodes, leur composition et leurs pratiques, ces premiers groupes se sont distingués des organismes, souvent paroissiaux, qui étaient déjà sur le terrain. S’inspirant des pratiques d’éducation populaire, et relativement politisés, les premiers groupes, composés de citoyenNes directement touchés, s’opposent à la construction des autoroutes dans les quartiers populaires et à l’expropriation des logements pour la construction des tours à bureaux. Ils comprennent que leurs droits ont été brimés afin de privilégier les besoins des spéculateurs. Fait souvent oublié de nos jours, jusqu’aux années 80, le milieu «communautaire» lutte surtout contre les abus des entreprises privées et très rarement contre « le gouvernement ». « L’ennemi » c’est le capital. Pour bon nombre de militants de l’époque, le gouvernement est perçu comme un rempart contre les excès du capital… Que les choses ont changé!

L’émergence de l’État québécois

Avant les années 60, la pauvreté des infrastructures et la quasi-absence de services et programmes sociaux universels et publics avaient pour effet de décourager la mobilité de la population. Tout ou presque se vivait au niveau de la communauté locale, voire paroissiale. Même au plus fort de la crise économique des années 30, alors que la population avait de très grands besoins de services sociaux, ce sont des organismes privés (la St-Vincent de Paul, l’Armée du salut, les Dames patronnesses, les «aidants naturels», la famille élargie, les Églises et les municipalités) qui assument la prise en charge des besoins des citoyennes et des citoyens défavorisés. Une organisation des services publics aussi minimaliste et basée sur la charité chrétienne place le Québec de l’époque dans une position de retard important dans une Amérique du Nord marquée par des tendances à la sécularisation et à la professionnalisation de ces services.

La Révolution tranquille arrive dans ce contexte. Au cœur de cet immense mouvement de «prise en charge» se trouve l’État québécois naissant, qui devient l’outil principal par lequel le Québec se modernise, se démocratise et crée des services semblables à ceux offerts par les autres sociétés industrielles occidentales. Il se dote ainsi de programmes pour dispenser des services d'éducation, de santé et de développement social accessibles à toute la population, indépendamment du lieu de résidence et des revenus de chacun. Pour réaliser son vaste programme de modernisation et de répartition des richesses, l’État choisit de compter sur lui-même. L’appareil d’État québécois[2] devient (relativement) l’un des plus gros en Amérique du nord.

L’État québécois, interventionniste, régulateur, moteur et initiateur se construit dans une période historique marquée par l’influence dite keynésien. De plus, cet État keynésien reconnait une certaine responsabilité de réduire l'écart entre les riches et les pauvres et de redistribuer ainsi la richesse. À cette fin, et en réaction aux revendications et aux luttes des classes populaires et ouvrières organisées, l’État se dote d'une gamme de «protections sociales» construit à partir de mesures et programmes concrets.[3]

De la protection sociale au «filet de sécurité sociale»

La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par les Nations Unies en 1948, confirme que les droits humains doivent se trouver au cœur de l’action gouvernementale. Cette Déclaration a été complétée par l’adoption des deux Pactes des Nations Unies, soit le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC, 1966) et celui relatif aux droits civils et politiques (PIDCP, 1966). Par ailleurs, le Québec –s’étant doté de sa propre Charte des droits et libertés en 1975 – a adhéré aux deux Pactes des Nations Unies. Les grands instruments de promotion des droits humains ont ceci en commun : ils émergent d’un l’environnement politique dominé par le keynésianisme. Ainsi compris, un État de «protection sociale» - que certains vont appeler un État-providence[4] - est une réponse de l’État à ses obligations en matière des droits humains. Bien sûr, cette réponse n’est pas tombée du ciel…

Des pas en avant …

Au Québec, ce sont les mouvements sociaux qui ont forcé l’État québécois à reconnaitre ses obligations dans le domaine du social. Ce sont eux qui ont arraché, morceau par morceau, les éléments qui forment la protection sociale.

L’universalité et la gratuité des services publics en éducation et en santé découlent des revendications provenant d’un mouvement social militant et mobilisé, et particulièrement de sa composante syndicale. Grâce aux années de pression et de mobilisation, qui ont débuté dans les années 50, de gains tangibles ont été enregistrés pendant la Révolution tranquille.

De même, les programmes sociaux sont le fruit de revendications et de mobilisations tant du mouvement ouvrier que du mouvement populaire. Trente-cinq ans de luttes acharnées, menées par les groupes de locataires et du logement social, ont permis des progrès significatifs relatifs au droit au logement. Les groupes d’accidentés de travail, de droits des non-syndiqués et de chômeurs, de concert avec le milieu syndical, ont fait avancé les droits touchant les conditions de travail, les conditions salariales et les indemnisations suite aux interruptions en emploi.

Deux marches organisées par le mouvement des femmes québécoises dans les années 90, ont placé la lutte contre la pauvreté et pour la sécurité physique et le contrôle des femmes de leur corps au cœur du débat politique. Des campagnes successives des groupes de personnes assistées sociales et d’organismes anti-pauvreté ont mis un frein aux atteintes aux droits des jeunes dans les programmes de soutien du revenu et à ceux des prestataires aptes au travail dans le dossier de la gratuité des médicaments.

Des avancées significatives ont été également enregistrées pour faire avancer les droits des personnes ayant des limitations fonctionnelles, et ce à la suite des campagnes menées par les organisations communautaires œuvrant dans ce domaine : l’accessibilité physique des locaux, services d’interprétation gestuelle, transport adapté ….

… des pas en arrière

Alors que les droits économiques et sociaux au Québec (et au Canada) ont progressé dans la période de l’État keynésien, dans les années 70 et 80, une brèche se produit dans le consensus social concernant le rôle de l'État. L’État keynésien, dit «dispensateur de grands programmes sociaux», disparaît pour être remplacé par un nouvel «État accompagnateur». Le néolibéralisme s’installe avec comme conséquence que la place accordée aux droits régresse, et ce peu importe la juridiction (provincial ou fédéral) ou le parti politique au pouvoir

Le néolibéralisme met le monde à l’envers. On «découvre» que l’État-interventionniste perçoit trop de taxes et d’impôts. Le citoyen devient le contribuable. De cette idéologie agressive découle une série de mesures. D’abord, les gouvernements se mettent à réduire des impôts. Simultanément, ils entreprennent une lutte très serrée aux déficits annuels. Le déficit zéro, au Québec, s’alimente d’un discours idéologique voulant que l’État ne peut plus se permettre d’investir dans le social. Les conséquences sur les programmes sociaux et les services publics sont immédiates.

Suivant le chemin emprunté par les néolibéraux d'ailleurs (E-U, Angleterre, Australie) l’État accompagnateur restructure la manière de concevoir et d’offrir des services et des programmes : le nouvel État offre directement moins de services, et les services publics restants sont moins accessibles et offerts moins largement. Adieu au principe de l’universalité; bonjour au clientélisme, au ciblage, aux « services de base », à la privatisation, à la philanthropie … Bienvenue au communautaire!

Par ailleurs, le redéploiement de l’État a eu un impact certain au sein du secteur public. L’État a réduit brutalement le nombre de postes permanents et à temps plein. A la place, il fait appel aux contractuels, aux pigistes et aux autres types de travailleurs atypiques. Alors que la fonction publique québécoise est de moins en moins l’employeur de choix des jeunes québécois, c’est le communautaire qui semble prendre la relève. Mais les relations salariales dans le communautaires comportent de net reculs au niveau du droit du travail. Un fait particulièrement préoccupant alors que certains voient même le communautaire comme un nouveau « gisement d’emploi ». D’autre part, la Nouvelle Gestion Publique[5] ouvre la voie à la territorialisation des activités étatiques.

La territorialisation

L’État québécois a toujours eu une présence régionale : d’ailleurs les premières régions administratives sont créées lors de la Révolution tranquille. Cependant, depuis les gouvernements du Parti québécois des années 1990, cette présence régionale a pris de l’ampleur.[6] Les gouvernements succédant du Parti libéral ont poursuivi l’élan de la décentralisation en mettant davantage l’accent sur « le local ».

De surcroît, même si l’État se retire de l’offre directe de plusieurs services, le besoin des ces services ne disparaît pas pour autant. L’État catalyseur et accompagnateur doit s’assurer que ceux-ci se donnent. Pour ce faire, il mise sur le partenariat sur lequel il exerce un certain contrôle et se met à la recherche de nouveaux partenaires – régionaux et locaux, privés et communautaires. Le Gouvernement, gouvernant moins, s’occupe davantage de la gouvernance.[7]

De l’État-arbitre à l’État-bailleur-des-fonds – l’impact sur le communautaire

Né dans la contestation des années 70, le développement du milieu communautaire québécois suit l’évolution de la société dans laquelle il évolue. Contestataire d’abord envers «le capital», l’objet de sa mobilisation s’est vite transformé : peu financé au début et existant pour répondre aux exigences des membres, au fil du temps le communautaire demande, et reçoit, de plus en plus de mandats. Il répond à de nouveaux «besoins» en provenance de «la communauté». Les membres deviennent les usagers qui deviennent les clients. Les demandes sont toujours plus nombreuses et plus complexes. Les groupes, devenus organismes puis entreprises sont tous débordés et demandent, pour faire leur travail, une reconnaissance et un financement compensatoire.

Pendant ce temps, l’État, lui-même en pleine transformation, cherche à se dégager de ses responsabilités, et ce particulièrement dans le domaine du social. Il est heureux de confier celles-ci aux «partenaires» qui ont une certaine expertise et qui ne coûtent pas cher. Dans la mesure où les groupes communautaires se sont conformés aux priorités de l’État-catalyseur, celui-ci se montre progressivement ouvert à les reconnaître, d’abord par le financement et ensuite par l’octroi de mandats.

Alors que cette transition se fait le plus ressentir dans le milieu communautaire de la santé et des services sociaux, elle a un impact sur l’ensemble du secteur. L’aboutissement du changement des relations entre l’État et le communautaire se concrétise en 2001 avec l’adoption de la Politique de reconnaissance d’action communautaire par le gouvernement du Québec.

À suivre.



[1] Une partie de ce texte sera publié dans un document à venir de la Ligue des droits et libertés du Québec. Évidemment le français n’est pas parfait.

[2] On parle aisément de l’État québécois – Personne ne parle de l’État ontarien ou de l’État saskatois…

[3] Par « protections sociales » dans le contexte québécois, on comprend les mesures suivantes : Impôts progressifs (pendant la deuxième guerre mondiale), assurance chômage (1940), habitations subventionnées (1964), régime universel de pensions de vieillesse (1965), aide-sociale (1969), assurance maladie (1971), aide juridique (1972); régie du logement (1972); assurance médicaments (1978); santé et sécurité au travail (1979); normes du travail (1979) et indemnisations aux accidentés de travail (1985).

[4] Voir les chercheurs québécois Jetté, Favreau, Bourque, Vaillancourt… L’utilisation du concept «État providence» est hautement péjorative et promulgue un fond antisyndical à peine caché, pour ne pas dire évident : chez eux, et dans son expression québécoise, l’État a, à la fois, trop «donné» aux syndiqués et aux citoyens (en termes de services et de programmes) et a trop «retiré» de ses mêmes sources. Le Québec étant le plus «imposé» et «taxé» au monde occidental…

[5] Voir Brunelle, Dorval Main basse sur l’État, Fides, Montréal, 2005

[6] Voir MÉPACQ, La localisation, la régionalisation … et la mondialisation, 1997.

[7] Le concept de « désétatisation » est utilisé par Lucie Lamarche, « L’État désétatisé et ses fonctions sociales » in Paquerot, Sylvie L’État aux orties, 1996.