Y a-t-il une différence entre un OBNL et un OSBL
Un torchon
est-il une serviette?
Josée Harnois, TROVEP
Montérégie et
Vincent Greason, TROVEP
Outaouais[1]
Février 2016
Dans le milieu communautaire, on utilise
sans distinction les termes « organisme à but non lucratif » (OBNL)
et « organisme sans but lucratif » (OSBL). Est-ce vrai que les deux veulent dire la même
chose? Un torchon est-il une serviette?
La question se pose dans un contexte de
transition et de transformation où le pouvoir public cherche à refiler ses
responsabilités, notamment dans le domaine du social, vers de nouveaux
partenaires privés et philanthropiques.
Ce contexte a donné naissance à de nouvelles formes d’organismes privés,
dont les entreprises d’économie sociale. Le contexte change. La loi ne suit pas les changements qui la
dépassent. Un flou s’installe. De
nouvelles questions se posent…
Tout d’abord
Le gouvernement fédéral reconnait
les deux concepts, OBNL[2]
et OSBL[3]. Dans les pages WEB et sur les formulaires
appropriés, l’Agence du revenu du Canada (ARC) fait référence principalement aux
organismes sans but lucratif (http://www.cra-arc.gc.ca/formspubs/clntgrp/thrs/nn_prf-fra.html
). Pourtant, la loi
fédérale de l’Impôt sur le revenu fait référence aux
« organismes à but non lucratif » qu’il désigne comme des
organismes reposant sur le bénévolat et ne recherchant pas à faire des profits.[4] Selon le site de l’ARC, un OSBL, comme les
œuvres de bienfaisance, ne paie pas d’impôts.
Comme l’indique son nom, la Loi canadienne sur les organisations à but non
lucratif, adoptée en 2009 et administrée par Industrie Canada, s’applique
aux organismes à but non-lucratif (OBNL)
(http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-7.75/page-1.html
). Juridiquement, seuls les organismes québécois ayant une charte fédérale
(comme la Ligue des droits et libertés
et l’Institut de coopération en éducation
des adultes-ICEA) peuvent se réclamer « OBNL ». [5]
Ces distinctions sont-elles
importantes? Si vous ne croyez que non,
arrêtez de lire ici…
Un peu
d’histoire
Jusqu’en 2009, tous les
organismes sans but lucratif (OSBL), tant au Canada qu’au Québec, ont été
incorporés selon une loi des compagnies, la 3e partie de la loi
québécoise pour les organismes incorporés au Québec; la 2e partie de
la loi canadienne pour les incorporations au fédéral. Le statut juridique d’un
organisme incorporé selon la 3e partie de la loi des compagnies du
Québec est « une association n’ayant
pas de capital-actions ». Par ailleurs,
la Loi québécoise des impôts précise que les OSBL ne paient pas d’impôts.
La loi des compagnies du Québec
(3e partie) précise qu’une association n’ayant pas de capital-actions
doit appartenir à une catégorie « d’œuvre » poursuivant un des douze
(12) objets permis et énumérés dans l’article 218 de la loi.[6] Un (1) objet, n’étant manifestement pas
permis, est même défendu : un
organisme sans but lucratif n’a pas le droit de poursuivre un objet économique.
Cela s’explique
historiquement. Dans les années 1920, au
moment de l’adoption de la loi des compagnies[7],
on comprenait que tout commerce (compagnie) « à but économique »
poursuivait la recherche de profit. Une
compagnie était en affaires pour faire de l’argent; il était « à but
lucratif ». La désignation
« OSBL » voulait distinguer celui-ci d’une compagnie à but
lucratif. On a voulu ainsi distinguer les organismes à but économique de ceux
sans but économique.[8]
Avec le temps, la situation se
complique. Des formes d’entreprises
« hybrides » émergent, qui mélangent les activités marchandes aux
visées sociales. Parmi les
« hybrides » : les coopératives et les organismes d’économie
sociale.
Les coopératives naissent au
Québec au début du 20e siècle, moment où Alfonse Desjardins se
trouve à l’origine d’un mouvement de prise en charge par la collectivité
francophone d’une partie de sa vie économique.
Le mouvement coopératif s’étend aux secteurs de l’agriculture et de la
pêche. Un mouvement parallèle s’observe
ailleurs au Canada. Le succès du mouvement
coopératif oblige les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral
d’adopter des lois qui tiennent compte des spécificités de cette nouvelle forme
d’entreprises. [9]
Sont nées les lois sur les
coopératives.
L’économie sociale pose un autre
problème. En réalisant des activités
économiques (marchandes), un organisme d’économie sociale poursuit un objet
économique. À première vue, un tel objet –nous l’avons noté- est exclu des finalités d’un OSBL, délimités
dans l’article 218 de la loi des compagnies. Pourtant, ce type d’organisme est souvent incorporé
selon la 3e partie de cette loi.
Que se passe-t-il?
L’intégral de l’article 218 de la
loi des compagnies du Québec se lit comme suit :
« Le
registraire des entreprises peut […] accorder une charte à tout nombre de
personnes, n'étant pas moindre que trois, qui demandent leur constitution en
personne morale sans intention de faire
un gain pécuniaire, dans un but national, patriotique, religieux,
philanthropique, charitable, scientifique, artistique, social, professionnel,
athlétique ou sportif ou autre du même
genre. » (Ce nous qui avons mis le gras)
Pour résoudre la quadrature du cercle,
le Chantier de l’économie sociale (à l’instar d’intérêts
semblables ailleurs au Canada) propose une interprétation large de
l’expression « ou autre du même
genre » : Selon cette interprétation, une entreprise pourrait
poursuivre des activités économiques mais « sans
intention de faire un gain pécuniaire ». Pour décrire ce type d’entreprise, l’appellation
retenue par le Chantier –et par le gouvernement fédéral - est « organisme
à but non-lucratif » (OBNL).
Dans son intervention
au colloque de la Ligue des droits et
libertés, Georges LeBel a fait remarquer qu’en droit, si on change une
expression, c’est pour signifier qu’elle couvre une réalité autre que
l’expression qu’elle remplace. Dans ce sens, il a expliqué que si l’on remplace
« SANS but lucratif » (OSBL), par « À but non lucratif »
(OBNL), on suggère, sans le dire, que l’expression, qui n’est plus la même,
couvre une autre réalité. Une «autre du même genre » deviendrait
un objet « économique mais sans intention d’être lucratif ». [10] Cette interprétation serait au cœur de la loi
fédérale propre aux OBNL.
Un impact majeur
L’impact de ce virage
est majeur. Depuis plus de cent ans, nous avons compris qu’un organisme sans
but lucratif est dépourvu de tout esprit de lucre, qu’un OSBL n’a pas pour but de
faire de l’argent ou des profits. Bien
entendu, cela n’a jamais signifié qu’on ne puisse mener des activités
accessoires qui permettent de ramasser des sous pour remplir le but non
lucratif, pourvu que l’activité
marchande ne soit pas le but de la corporation. Les St-Vincent-de-Paul,
l’Armée du Salut et d’autres exemples de la vieille industrie marchande de la
pauvreté en témoignent.
Cependant, pour les organismes
incorporés au Québec, un problème demeure: l’interprétation large de
l’article 218 ne correspond pas à la loi québécoise
actuelle. Poursuivre un but économique,
même s’il n’est pas lucratif, est exclu par le texte même de la loi. De plus, la
loi sur les impôts défend aux organismes sans but lucratif, qui veulent être
exonérés des impôts, de poursuivre un objet économique.[11]
Vraisemblablement, de tels organismes existent, bénéficiant soit
du flou au sein de l’ARC, de la tolérance au Registre des entreprises ou de la
protection politique en attendant l’adoption d’un nouveau cadre juridique pour
les OSBL/OBNL.[12]
Le gouvernement fédéral s’est
doté d’un tel cadre juridique en 2009 avec l’adoption d’une loi spécifique aux
OBNL. Le Québec n’y a pas encore réussi,
malgré plusieurs tentatives. En effet, à cinq reprises depuis 1978,
le Québec a tenté de retirer les OSBL de la loi sur les compagnies.[13]
Ces efforts ont été sans succès devant la résistance des OSBL québécois. Cependant, plusieurs indices laissent
présager une nouvelle tentative de la part du gouvernement Couillard.
Parmi les indices
s’avère l’adoption de la loi sur l’économie sociale (2013), muni d’un plan
d’action étoffé. Au moment où le
gouvernement du Québec songe sérieusement à se lancer dans la finance sociale, cette
loi illustre l’intérêt grandissant du gouvernement libéral quant aux
possibilités représentées par le secteur. D’ailleurs, la
loi de 2013 donne même une priorité d’accès aux contrats de l’État aux
entreprises d’économie sociale.[14] Une telle ouverture forcera le gouvernement
provincial de régler un autre problème, maintes fois soulevé par le Chantier, de
la sous-capitalisation de ses membres.[15] C’est bien beau d’avoir accès aux contrats
étatiques, toujours faut-il que les entreprises puissent être concurrentielles!
Le flou entretenu par la
situation juridique actuelle ne peut plus durer. Dans un contexte où la finance sociale prend son
envol et où le pouvoir public se tourne systématiquement vers le marché pour le
remplacer, le flou actuel permettra à certaines (mais pas toutes) entreprises
sous-traitantes de l’État de continuer à jouir de l’exemption d’impôts tout en
poursuivant des activités économiques et même faisant des profits, puisque les
profits et leur utilisation ne seraient par leur but ou leur objet principal,
mais accessoire. Ne serait-il pas une
simple question de temps avant que les entreprises à but lucratif,
soumissionnaires aux même appels d’offres que les OSBL, commencent à
crier : « Concurrence déloyale! »
De même, si toute entreprise,
ou tout entrepreneur social, peut
poursuivre des objets économiques en proclamant que ce n’est pas là son objet
principal, mais bien une activité accessoire, on ouvre la porte à n’importe qui
voudra construire une entreprise profitable hors impôts. L’encadré,
fourni par notre avocat préféré,
illustre le type de dérapage qui devient possible.
Les torchons et les serviettes
L’enjeu fondamental d’un éventuel
nouvel encadrement juridique des OSBL s’avère le même que celui soulevé par la
différence entre un OBNL et un OSBL : comment protéger le caractère
volontaire et surtout « hors du marché » des groupes de citoyens,
populaires ou communautaires?
Un organisme d’action
communautaire autonome n’est pas une entreprise d’économie sociale. Il poursuit une mission de transformation
sociale. Son objet n’est pas économique. Certes, ils génèrent des retombées
économiques, Ils créent des emplois, ils paient des loyers. Cependant, leur terrain d’intervention n’est
pas le marché et leur objet n’est jamais « économique » (marchand).[16] Comme mouvement, il faut résister avec force
et conviction toute tentative de dénaturer la mission des organismes qui le
composent.
Garder les organismes d’ACA
« hors le marché » implique également de protéger la nature publique
de leur financement. Autant les
gouvernements néolibéraux remettent en question le transfert des allocations
publiques vers les individus (Les pauvres! Les malades! Les toxicomanes!), autant ils cherchent à se
départir des allocations (subventions) versées aux organismes qui soutiennent
ces individus.[17] Il va sans le dire qu’un régime de finance
sociale s’appuie sur une toute autre logique que l’octroi d’un soutien public à
la mission des organismes communautaires.
Si le flou actuel permet à certains
« OSBL » de pouvoir poursuivre,
avec impunité, un objet économique en se dotant d’activités marchandes, à quand
le moment où le pouvoir néolibéral décrètera que tous les OSBL devront le faire. A partir du moment où la loi permettra
clairement aux OBNL de réaliser des activités marchandes (même si l’objet n’est
pas lucre!), celles-ci deviendront l’avenir
du financement des OSBL. Une
situation qui plairait, sans doute, aux gouvernements visant à réduire leurs
engagements dans le domaine du social!
Sommes-nous dans le champ? Considérons ceci. Dans un des projets d’encadrement juridique
des OBNL, proposé par le gouvernement du Québec et rejeté par le milieu, tout
OBNL aurait eu un objet économique. Par
défaut, on aurait considéré tout OBNL comme une entreprise d’économie
sociale. Seuls les organismes, ayant
fait une démarche proactive et au préalable pour se désinscrire de cette catégorisation,
seraient restés sans objet économique. Une
telle loi aurait complètement dénaturé le sens de l’action communautaire
québécoise.
Un torchon n’est pas une
serviette. Un organisme d’action
communautaire autonome n’est pas, et ne sera jamais, une entreprise d’économie sociale!
[1]
La question a été
lancée par Georges Lebel lors du colloque
sur le projet de loi 56 (lobbyisme).
Organisé par la Ligue des droits et libertés/SAC-UQAM, le colloque a eu
lieu le 27/11/15. Par la suite, Josée Harnois (TROVEP Montérégie) et Vincent
Greason (TROVEPO Outaouais, CE LDL) ont repris le flambeau. Ils remercient Georges de les avoir rencontré
et d’avoir enrichi ce texte de ses commentaires et critiques. Vincent et Josée demeurent responsables des
erreurs possibles.
[4] Tous les formulaires
pertinents de l’ARC s’adressent aux OSBL.
La loi fédérale de l’Impôt sur le revenu ( art. 149 (1)(l) fait référence aux
« organismes à but non lucratif » dont il définit le statut fiscal. : « […] une association qui
est constitué[e] et administré uniquement pour s’assurer du bien-être social,
des améliorations locales, s’occuper des loisirs ou fournir des
divertissements, ou exercer toute autre activité non lucrative, et dont aucun
revenu n’était payable à un propriétaire, un membre ou un actionnaire. Sur le site du Revenu Québec, on ne
retrouve que des références aux OSBL.
[5]
Nonobstant ce que
disent le projet de loi 56 (sur le lobbyisme) et le Chantier sur l’économie
sociale. Sur ce dernier, nous y
reviendrons.
[6] Les objets énumérés à
l’article 218 sont : « national, patriotique, religieux,
philanthropique, charitable, scientifique, artistique, social, professionnel,
athlétique ou sportif ou autre du même
genre » L’objet poursuivi par
l’organisme doit se retrouver dans la charte de l’organisme.
[7] Depuis 1920 (refonte 1925)
en ce qui a trait au Canada
[8] Dans ce texte, nous n’avons pas
distingué entre les concepts « but » et « objet », lesquels
nous semblent interchangeables.
[9] Les spécificités sont notamment
la nature collective du propriétaire et une capitalisation par les parts
sociales et par la constitution obligatoire des réserves
[10] Une désignation plus juste aurait été un
« organisme à but économique non-lucratif (OBENL) »
[11] Georges LeBel fait remarquer que le texte de la loi
fédérale sur les impôts (149(1)(l) est encore plus explicite que celle
des compagnies puisqu’il parle de « TOUTE AUTRE activité non
lucrative » excluant donc toute activité lucrative des buts de
l’organisation.
[12] Nous choisissons nos mots
avec soin. Le secteur de l’économie
sociale a été légitimé par les élites politiques, entrepreneuriales et
syndicales lors du Sommet socio-économique québécois de 1996. Le Chantier en a été une retombée
concrète. Par la suite, l’appui
politique et financier du Premier ministre Paul Martin a confirmé l’intérêt des
élites canadiennes à la formule. De
toute évidence, cette formule facilite la déresponsabilisation du pouvoir
politique envers le social.
[13] Payette (1978),
Landry(1996), Jérôme-Forget, (2008) Registraire des entreprises (2004), Maltais (2013).
[15] Voir Investissement Québec, « La capitalisation des entreprises de l’économie
sociale ». Nonobstant le constat
inscrit à la note 9, Investissement
Québec ouvre la porte à une « lucrativité
limitée » pour
justifier le maintien de l’exemption fiscale des entreprises d’économie
sociale. http://www.investquebec.com/documents/qc/publications/BrochureCapitalisation_fr.pdf
[16] Bien que la situation actuelle de sous-financement
force un nombre inquiétant d’organismes à tarifier pour joindre les deux
bouts. La tarification est une forme de
marchandisation.
[17]
Nous déplorons que le gouvernement canadien ait une longueur d’avance sur le
gouvernement québécois à cet égard.
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