I l était une fois les groupes populaires. Ils avaient des membres, pas de permanence et ils défendaient les personnes pauvres. Ils contestaient, ils revendiquaient, ils mobilisaient. Avec le temps, les groupes sont devenus moins populaires et plus communautaires. Les sous commencent à entrer dans leurs coffres et avec cela, ils embauchent du personnel, du bon monde, qui défend les intérêts des personnes pauvres…. Avec le temps, l’arrivée des sous signale l’arrivée des (gentils mais pas très généreux) bailleurs de fonds qui offrent aux groupes la possibilité d’aider davantage les personnes pauvres. Leur donner des petits «extras» et des «paies», comme on disait dans le temps. Encore aujourd’hui, comme dans le bon vieux temps, les groupes communautaires sont-ils toujours ouverts à aider des personnes pauvres. Encore aujourd’hui, les groupes vont-ils probablement sauter sur l’occasion de réussir, de découvrir et de devenir!
o Les militantEs ne se connaissent pas car il n’y en a plus.
o Les clients du groupe ne se connaissent pas car, tous référés par le CLE (ou le CSSS), ils ont juste hâte de partir après avoir reçu le service pour lequel ils sont venus…
o Les multiples stagiaires ne se connaissent pas car le groupe est juste un lieu de passage de six mois.
o La directrice ne connaît ni les clients, ni les stagiaires, ni vraiment ses employéEs. Elle est toujours à l’extérieur du bureau pour faire « du développement » (Mais elle est très appréciée des autres partenaires -on l’a déjà vu- car « elle connaît le terrain ».) Et lorsqu’elle est au groupe, elle s’enferme dans son bureau pour faire des rapports. Pas drôle la vie de directrice d’un groupe communautaire!
A moins de renverser la vapeur, c’est ainsi que notre conte se termine :
o Dans ce monde à l’envers, la « lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale » est vraisemblablement sur la bonne voie. (Il y a moins de BS, « Le Québec progresse! »)
o Dans ce monde à l’envers, une lutte c’est ce qui se fait autour d’une table, à l’aide des statistiques montrées avec une présentation power-point; c’est par la lutte que les experts identifient les poches de pauvreté à cibler (la rareté des ressources oblige); ces choix sont confirmés par d’autres experts en gestion de projets (des professionnels qui connaissent les programmes de financement et qui sont capables d’harmoniser l’expertise de chacunE en matière de pauvreté aux exigences des bailleurs de fonds (oui, vous l’avez copris – la lutte pour le financement des groupes fait partie intégrale à la lutte contre la pauvreté…);
o Dans ce monde à l’envers, la lutte c’est l’immense tâche de mettre en œuvre des projets, de coordonner tous les partenaires, de créer de la synergie et (surtout) de démontrer qu’on a réussi à atteindre les cibles et des objectifs de départ.
o Dans ce monde à l’envers, la lutte contre la pauvreté est menée par les experts, les spécialistes de tout… sauf le fait d’être pauvre.
o Dans ce monde à l’envers, on parle au nom de, on agit pour, on décide à la place de …
o Dans ce monde à l’envers, même une partie du communautaire est complice…
Dans ce monde à l’envers, (mais où la lutte contre la pauvreté est bien avancée) on proclame (sans que personne ne dise un mot) que « Le Québec progresse »
Alors que le seuil de faible revenu (SFR), mesure utilisée par l’ONU pour indiquer une sortie de la pauvreté, se situe autour de 22 000$ par année pour une personne seule, dans ce monde à l’envers:
· Les personnes les plus pauvres sont plus pauvres aujourd’hui qu’il ya cinq ans ;
· Un prestataire (seul) sur la solidarité sociale vivote avec 10 348 $ par année;
· Un prestataire sur l’aide sociale vivote avec 6 904$ par année;
· Un jeune sur Alternative Jeunesse empoche le gros lot à 7 852 $ par année; et
· Un travailleur à temps plein au salaire minimum se paie le traite avec 17 680 $ par année. (le seuil d’imposition est autour de 11 000$)
Parce que dans un monde (riche) à l’endroit, on n’en ferait pas de la pauvreté une industrie. On la reconnaîtrait pour ce qu’elle est: un véritable scandale. Et on mobiliserait nos énergies et nos ressources collectives pour que le travail soit une vraie sortie de la pauvreté et pour que toutE citoyenNE puisse jouir de son droit d’un niveau de vie décent. Renversons la vapeur. Travaillons pour remettre le monde à l’endroit
La Fin
[1] Voici, pour un pauvre philosophe, comment le partenariat peut enfin aider à comprendre l’énigme de l’infini…